Sangs mêlés, sons mêlés

Qu’ont les humains en commun au delà des différences géographiques, historiques, culturelles, de leur apparence physique ?
Qu’ont en commun un Inuit, un Pygmée, un Breton ?
N’est-il pas incroyable et rassurant de savoir qu’un Pygmée ou un Amazonien, par transfusion sanguine, puisse sauver la vie d’un Européen ou d’un Japonais ? (lire la suite)

Dessin de Kent

Nos lointains ancêtres communs, depuis le Rift africain, nous ont laissé un héritage plus important qu’en apparence.
Puisque le même sang, les mêmes humeurs circulent dans notre corps, nous ressentons aussi les mêmes plaisirs, les mêmes souffrances.
Ces sensations communes font qu’un homme contemporain et occidental, pourtant en phase avec les formes d’art de son temps et de son « ethnie », peut être ému aux larmes par les peintures pariétales de Pech-Merle ou les lithoglyphes Anasazi.
Ces peintres, si lointains de nous par le temps et le développement, nous touchent au « cœur », malgré la distance, malgré notre ignorance de leur culture et de leurs motivations religieuses ou profanes. Quelque chose dans leurs œuvres, d’aussi universel que le sang humain, nous parle et c’est bon.

Les musiques des humains, aussi radicalement diff érentes qu’elles puissent sonner, possèdent dans leur forme presque toujours des points d’intersections (par exemple la gamme pentatonique ou la mesure à quatre temps) qui sont autant de facteurs de partage, de compréhension et d’intégration des cultures.

Ma quête, en musique, c’est la traque de ces points d’intersection « universels », au delà des langues, des usages ou de la lutherie. C’est mettre à jour et utiliser, autant que possible, cet héritage humain qui nous relie.

Les belles musiques sont souvent issues de mariages « contre-nature ».
Absorber les traditions des autres, les digérer, les juxtaposer et les resservir abâtardies mais enrichies de sa propre culture, tel est en fin de compte, le fondement de tout mouvement  musical. Comme exemples : 
le jazz, genre majeur dans l’histoire de la musique du 20ème siècle,  n’est-il pas le résultat de l’absorption de la musique et de la lutherie occidentale par les déportés africains au nouveau monde ?
Les griots mandingues chanteraient-ils  de cette manière sans avoir connu l’islamisation de l’Afrique subsaharienne ?
Les gitans (pourtant d’origine tzigane) chanteraient ils ces modes andalous sans la présence des Maures en Espagne durant plusieurs siècles ?
Qu’a fait Debussy qui étudia, fasciné, les modes extrême-orientaux ou Bela Bartok (et tant d’autres) qui puisait son inspiration dans le folklore d’Europe, ou Picasso qui s’inspirait des masques « nègres » ?

La pureté musicale, tout comme la pureté ethnique, est un leurre.
Au contraire, l’impureté voulue, mais respectueuse et contrôlée nous mène tout droit à ces points d’intersection des styles qui permettent de naviguer d’une culture à l’autre et de les faire se conjuguer. Y parvenir est bienfaisant et délicieux : c’est se sentir entouré de sept milliards de frères.

François Bréant